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Les frontières poreuses de la santé : quand humains, animaux et microbes cohabitent

par WILLIAM BISSOU

le 13 novembre 2025

Êtes-vous intéressés par une exploration des limites de la santé humaine à l’ère des zoonoses, du vivant partagé et des vulnérabilités systémiques? De la clinique au territoire, suivez l’itinéraire d'une santé relationnelle.

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 Il y’a quelques jours, une discussion entre camarades sur la définition de la santé vue sous l’angle du moustique femelle a suscité une curiosité en moi. Et si la santé ne se mesurait pas seulement en signes cliniques, mais aussi en liens. Liens entre humains, entre espèces et entre milieux. S’inspirant du cours sur les approches écosystémiques de la santé, ce bloggue nous invite à penser la santé comme un processus co-construit, situé à l’intersection du social, de l’écologique et du politique.

En parcourant ces pages, on passera du cabinet médical au marais menacé, des indicateurs de morbidité à ceux de biodiversité, des décisions institutionnelles aux voix communautaires.

 

On y interrogera :

  • Comment la santé se vit et se pense en relation avec les écosystèmes ?
  • Quelles tensions et injustices émergent lorsque le vivant est fragmenté, surexploité, ou ignoré ?
  • Et surtout, comment repenser la pratique, la recherche et l’action collective pour construire des territoires plus sains, plus justes, et plus vivables ?

Bienvenue dans un espace de réflexion critique, d’observation sensible et d'engagement éthique pour une santé qui dépasse les murs de la clinique.

Une santé à l’épreuve des liens

Pendant longtemps, le modèle biomédical classique a pensé la maladie comme une anomalie biologique localisée, la santé comme une affaire de corps individuel : un organisme en équilibre, un patient isolé, une pathologie à guérir. Cette vision héritée de la clinique moderne, a largement structuré les systèmes de santé contemporains. Cependant, avec les crises sanitaires globales telles que le VIH, le SRAS, Ebola, et plus récemment la pandémie de COVID-19, un constat s’impose : la santé humaine n’est pas autonome. Elle est entrelacée avec celle des animaux, des écosystèmes, des infrastructures, des modèles économiques et des imaginaires collectifs. Elle est vulnérable aux effets en cascade d’un monde interconnecté.

C’est ici qu’intervient la perspective écosystémique de la santé, ou écosanté, qui nous invite à sortir de la clinique et à penser les frontières poreuses du vivant.

Le saut d’espèce n’est pas un accident

Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) les futures pandémies humaines risquent d’être d’origine zoonotique et que les espèces sauvages en seront la principale source[1].  Les maladies dites zoonotiques[2] représentent aujourd’hui plus de 60 % des maladies infectieuses émergentes. Toutefois, leur émergence n’a rien de naturel. Elle est souvent accélérée ou provoquée par les pratiques humaines telles que la déforestation massive qui pousse les animaux sauvages à côtoyer les humains, les marchés d’animaux vivants, souvent dans des conditions insalubres, l’élevages industriel intensif etc. Ainsi, ce que nous appelons le « saut d’espèce » n’est pas une anomalie biologique, c’est le symptôme d’un modèle de développement destructeur, qui fracture les écosystèmes et multiplie les points de contact à haut risque.  Dans cette optique, il semble logique que soigner une épidémie sans traiter ses causes écologiques revient à stériliser une plaie sans retirer l’écharde.

Microbes, alliés et menaces : vers une écologie du minuscule

Souvent perçus comme les ennemis invisibles des humains, les microbes sont pourtant dans la majorité nos alliés. En effet, ils participent à notre digestion, régulent notre immunité, protègent notre peau et même notre cerveau. Le microbiote humain, cet écosystème intérieur de milliards de bactéries et champignons, est façonné dès la naissance : par le type d’accouchement, l’allaitement, le contact avec la nature, la diversité alimentaire. Celui-ci est façonné et modifié en fonction notre mode de vie.

Avec l’urbanisation, la médicalisation excessive (antibiotiques), l’alimentation industrielle et la déconnexion avec le vivant, cette richesse microbienne se fragilise avec pour conséquence une croissance des maladies inflammatoires, auto-immunes et allergiques.

Protéger notre microbiote ne relève pas seulement de la médecine, cela exige une écologie du soin[3], où l’humain, ses microbes et son environnement forment un continuum fragile qui protège également notre santé mentale.

Santé mentale et territoire : l’invisible connexion

L’autre champ de la santé longtemps resté marginal notamment dans les pays du sud global est la santé mentale. Bien que mieux reconnue aujourd’hui, ses liens profonds avec l’environnement restent peu étudiés. Pourtant, les recherches montrent que le contact régulier avec des espaces naturels améliore la concentration, diminue le stress, réduit les symptômes anxieux et dépressifs[4]. À l’inverse, vivre dans des environnements bruyants, pollués, sans accès à la nature, augmente la charge mentale, l’irritabilité, les troubles du sommeil[5]. D’autres études ont montré que la perte ou la transformation brutale de son territoire cause chez les humains la solastalgie, tandis que catastrophes climatiques passées, présentes et futures sont responsables de « l’éco anxiété » ces troubles de la santé nous rappellent que notre équilibre psychique est enraciné dans un lieu. Quand ce lieu est détruit à cause de la déforestation, l’extraction minière, le déplacement forcé, la santé mentale s’effondre avec.

Inégalités écologiques, inégalités sanitaires

La crise climatique et écologique ne touche pas tout le monde de la même manière. Elle renforce des inégalités sociales et territoriales préexistantes. Cela suppose que « les populations pauvres vivent souvent dans les zones les plus polluées, inondables ou exposées aux risques climatiques, que les femmes, dans de nombreux contextes, sont plus exposées aux risques environnementaux à cause de leur rôle dans la gestion de l’eau, de la nourriture, ou de la santé des enfants, et que les peuples autochtones voient leur santé menacée par la perte de biodiversité, la contamination des sols et des eaux, et l’accaparement de leurs terres ».[6] Réfléchir à la santé, c’est donc penser aussi la justice sociale et environnementale. Car il n’y a pas de santé durable sans équité.

 Vers une santé relationnelle

Face à ces constats, que faire ? Il ne s’agit pas seulement d’élargir la définition de la santé, mais de changer notre manière de penser le soin. De passer de la réparation à la prévention, de l’individu au collectif, du symptôme à l’écosystème, ou encore de la séparation au vivre-ensemble du vivant. Les approches écosystémiques nous proposent une santé relationnelle, dans laquelle soigner un humain, c’est aussi préserver son environnement, protéger un territoire, c’est préserver des liens culturels, affectifs, biologiques et dialoguer entre disciplines, savoirs et acteurs devient une nécessité éthique et stratégique.



[1] https://fr.worldanimalprotection.ca/blogs/comprendre-les-zoonoses/

[2] Les maladies zoonotiques (zoonoses) sont des maladies ou des infections transmissibles des animaux aux êtres humains

[3] Truc, H. et Alderson, M. (2010). Mieux comprendre l'écologie humaine dans le contexte de la pratique des soins infirmiers. Recherche en soins infirmiers, 101(2), 4-16. https://doi.org/10.3917/rsi.101.0004.

[5] https://www.inspq.qc.ca/en/node/32764

[6] Notre Affaire à Tous. (2020). Un climat d’inégalités : Les impacts inégaux du dérèglement climatique en Francehttps://notreaffaireatous.org/.