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COVID-19 en 2040 : comment le masque a transformé une crise sanitaire en pandémie sociale

de Moustapha NGOM

publié le 13 mars 2023

 

Aujourd’hui, dimanche 11 mars 2040, journée de commémoration de la COVID-19, trois constats majeurs attirent particulièrement notre attention : un environnement morose, un effritement critique des relations sociales et un climat d’insécurité de plus en plus prononcé. Pour rappel, il y a vingt ans, jour pour jour, que l’OMS déclarait que l'épidémie de COVID-19 devait maintenant accéder au statut de pandémie. Aussi, demandait-elle des mesures de protection essentielles pour prévenir la saturation des services de soins intensifs.

Naturellement, il est de tradition en de pareilles situations d’interroger les impacts qu’a eus progressivement la pandémie sur nos vies. Une manière de peser le poids des décisions ou non- décisions sur la situation actuelle. En 2038, nous nous intéressions aux dégâts causés par la mauvaise gestion des tonnes de désinfectants et nettoyants destinées en son temps à combattre les anciennes variantes du virus delta, alpha, bêta, epsilon…et lambda. En 2039, on évaluait les preuves de l’efficacité sanitaire du masque. L’édition de cette année sera donc consacrée aux conséquences sociales du port du couvre-visage.

 Moustafa coronavirus covid 19 face masks

Du masque chirurgical au masque social.

Le masque est un objet qui fait partie de la panoplie des gestes barrières qui avaient été initiés pour stopper la transmission du virus. Sa particularité est que s’il est une des pratiques d’atténuation les moins observées au début du confinement, c’est pourtant celle qui s’est le plus généralisée[1].

Pour appréhender convenablement la question, nous considèrerons ainsi le masque non pas du point de vue de son aspect médical, mais plutôt selon une perspective purement socio-symbolique. Rappelons-nous qu’en aout 2020 pour faire la promotion de cet objet certains avaient jugé pertinent de mettre en exergue les autres bénéfices fonctionnels que pouvait revêtir un couvre-visage avec des messages du genre :

« c’est cool un masque, c’est super pour protéger les autres et pour cacher notre restant de lunch entre les dents; pour cacher notre binette pleine de chocolat, pour cacher notre petit accident du hockey; pour cacher notre petite erreur de maquillage[2] ».

Ce faisant les autorités gouvernementales ne soupçonnaient pas les risques d’effets pervers de l’exposition prolongée et permanente de demi- visages dans l’espace social. Ainsi, pour montrer cette dimension interrelationnelle et ses conséquences, nous avons emprunté la perspective de l’anthropologie du visage2 afin de manifester la place centrale qu’occupe le visage, plus précisément l’expression faciale complète et les échanges de sourires dans notre bien-être intra-individuel et inter-individuel.  

Que constatons-nous ?

Le nombre d’individus touchés par le trouble de l'anxiété sociale passe de 7% en 2019 à 28 % en 2040. Est-il nécessaire de rappeler que l’homme en tant qu’animal social se définit particulièrement par sa capacité à nouer et entretenir facilement des relations dans différentes situations sociales. Malgré tout, on constate que le nombre de mariages diminue, les rendez-vous amoureux tournent au fiasco, surtout chez les 20 à 35 ans l’individualisme gagne davantage de terrain avec l’apport négatif de la dépendance au smartphone. Ce sentiment d’inquiétude, de tristesse et d'insécurité fait effectivement que les individus s’évitent physiquement et même du regard. Du coup, en passant par le social, cette agoraphobie a aussi impacté les PIB par habitant qui a régressé de manière drastique dans presque tous les pays. Une situation d’autant plus irrémédiable que les gens font de moins en moins du sport collectif. Il s'y ajoute que la diminution des espaces verts fait que même les joggers ne sont enthousiasmés à sortir de chez eux. D’autant plus que le taux de criminalité s’est accéléré avec une prolifération des armes à feu et un taux d'homicide volontaire par an de 300 /100 000 hbts.

En quoi le masque devrait-il être particulièrement indexé ?

D’abord, il convient de relever que le masque est un objet ambivalent. Il est à la fois un objet symbolique, historique et social; il peut même être appréhendé sous l’idée du rituel du fétiche3. Même si nous n’aurons ni le temps ni, l’espace pour développer toutes ces perspectives, le propos et de nous rendre compte que le masque dépasse de loin l’aspect sanitaire auquel beaucoup semblent vouloir le restreindre.

Utilisé pour la première fois en Europe en 1897 par le chirurgien français Paul Berger (1845-1908)[3], le masque s’est rapidement immiscé au cœur du social en 2019. Pis, il est parvenu à redéfinir des protocoles d’interactions interpersonnelles au travail, à l’école, dans les transports, les commerces et la sphère des relations privées. L’on se rappelle que même par moment quand des retraits de masque étaient arrêtés par les gouvernements, certains peinaient à s’en défaire. Par peur de contamination? Par habitude? Pour des raisons esthétiques?... Il a été même avancé que de nombreux adolescents camouflaient leur complexe et leur mal-être derrière ce bout de tissu[4].

La preuve, le samedi 18 juin 2022, le port du masque devenait non- obligatoire dans les transports collectifs. Malgré tout, si certains ont accueilli la décision avec soulagement, d’autres semblent avoir, entre temps, développé un lien de dépendance ou d’affection avec les masques chirurgicaux, les masques, ceux fait- maison, les N 95…

Pourquoi une anthropologie du visage ?

En effet, comme l’indiquait Le Breton[5] « dans la géographie du corps, le visage n'est pas un lieu comme les autres ; il est précisément l’incarnation du sentiment d'identité. Aussi, sommes-nous « identifiés, nommés, jugés, assigné à un âge, voire à une psychologie » ajoute- t-il.

Moustafa metro maskC’est pourquoi en cachant son visage, le porteur s’autorise à jouer un rôle avec un masque différent de sa personnalité lors des carnavals ou bals masqués7. Le Breton raconte d’ailleurs l’histoire d’un chimiste qui s'est défiguré et qui s'est refait un masque ressemblant à un autre visage. Ainsi « quand il prenait ensuite pour la première fois le métro, il ne rêvait que de viol. Il prend en effet conscience à la faveur que maintenant il peut tout faire parce que plus personne, ne le reconnaîtra. Nous pouvons d’ailleurs penser que cette propension en relation avec l’anonymat que le masque procure n’est pas étrangère au phénomène de désindividuation tel que le théorisait Zimbardo[6]. C’est d’ailleurs pour quoi nous posons l’hypothèse d’une association entre le port généralisé de masque et l’augmentation des statistiques de la criminalité.

Quant à l’effritement des interactions sociales, nulle n’ignore que les émotions sont indispensables à la vie et elles agissent entre autres comme des guides qui nous aident à répondre à nos impératifs moraux. Or le visage demeure le lieu privilégié non seulement de la manifestions de nos humeurs, mais aussi l’écran où se lisent nos inquiétudes, nos colères et notre bonheur. Déjà en 2020, une étude sur l’ampleur de l’effet du masque menée par des universitaires de Mc Gill prévenait que le bas du visage transmettait des informations visuelles essentielles pour l’interprétation juste des expressions faciales[7].

Somme toute, de mon point de vue, on en est arrivé là puisque depuis l’annonce de la COVID-19 les humains sont entrés dans une forme de peur, qu’ils n’arrivent toujours pas à avoir le courage d’interroger et de comprendre.  Du coup, nous avons fait accent sur le danger de contamination virale tout en créant d’autres formes de fléaux sociaux plus viraux et plus irrémédiables que la maladie elle-même.

                                      



[1] Balech, S., & Calciu, M. Le masque, figure polaire de la crise de la Covid-19 : une exploration par NLP du flux des conversations Twitter (février-mai 2020). 4- https://www.bpi.fr/selection-ressources-masques-histoire-anthropologie.

[5] Dans : Des visages. Essai d’anthropologie. Par David Le Breton. (Paris, Anne-Marie Métailié, collection « Suites Sciences Humaines », 2003 [1ère édition 1992]. 334 pages, ISBN 2-86424-467-5. 7 -

[6] Zimbardo, Philip G. "Le choix humain: individualisation, raison et ordre contre désindividuation, impulsion et chaos." Nebraska Symposium on Motivation: 1969, édité par William J. Arnold et David Levine, University of Nebraska Press, 1969, pp. 237-307. https://purl.stanford.edu/gk002bt7757